Iko

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Anthroplogue at home

 

Article publié dans :

La Meditérranée des anthropologues. Factures, filiations, contiguïtés. 

Sous la direction de Dionigi Albera et Mohamed Tozy, Maisonneuve & Larose et

Maison méditerranéenne des sciences de l'homme, 2005, pp. 367-385.

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Abderrahmane LAKHSASSI

 

                                               Anthropologue at home

                      Limites de la « distanciation » et pièges de l'empathie1

 

« Le travail de l'anthropologue, quel que soit son

sujet prétendu, finit par n'être que l'expression de

son expérience de recherche ou, plus exactement,

ce que son expérience de recherche a fait de lui. »

                                   (C'est moi qui traduis)

Clifford Geertz

 

         Et cette vieille phrase de Hegel qui, pour

Senghor et moi, a été le fil conducteur : « Ce n'est

pas par la négation du particulier que l'on va vers

l'universel, c'est par son approfondissement. »

Aimé Césaire

 

 

          Ce papier se veut une réflexion sur le travail de terrain en général qu'il soit mien ou celui des autres. La relation du chercheur à son objet de recherche relève d'une complexité qui défie toute généralisation. Par le fait de mettre en contact/conflit des subjectivités uniques et très différentes, ce rapport résiste à tout contrôle de la part de l'anthropologue/ethnologue qui ne peut que s'aventurer sur son terrain de recherche. Aussi est-il en construction permanente, dynamique, voire dialectique pour ne laisser au chercheur que le choix d'adapter ses méthodes à ses objectifs selon les circonstances et la relation qui en résulte à chaque moment de la recherche.

 

          La distance qui s'installe entre l'ethnologue et son interlocuteur ou son groupe-hôte peut aller de l'indifférence à l'intégration totale, en passant par d'autres niveaux intermédiaires. Il s'agit ici de réfléchir sur un seul axe autour duquel une série d'interrogations viennent se greffer : le fait que le chercheur partage certains traits culturels avec le groupe humain étudié ou faisant partie de cet ensemble culturel qu'il envisage d'étudier, lui octroie-t-il un privilège quelconque plus que quelqu'un d'autre de « l'extérieur » ? D'une façon plus générale, existe-t-il des niveaux de contact avec/ intégration dans

 

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le groupe (en tant qu'objet d'étude) plus méthodologiquement avantageux que d'autres ?

 

          Pour essayer de répondre à cette question, je citerai deux exemples tirés de ma propre expérience de terrain : le premier tourne autour de ma relation en tant que chercheur avec ma propre mère, et l'autre concerne ma relation avec la chanteuse marocaine d'expression berbère, Rqiyya Taddemsirit, donc appartenant au même groupe / sous-groupe / sub-groupe… culturel et linguistique que moi. Dans le premier cas, on peut dire que la distance sociale, culturelle et linguistique tend, comme une sorte d'asymptote, vers le degré zéro. Dans le second, cette distance est largement réduite au point où je deviens presque « inexistant » aux yeux de l'interviewée du fait que l'altérité est représentée plutôt par mes deux compagnons de terrain et amies. Cette « invisibilité » peut d'ailleurs venir de « l'excès de ressemblance » dans une situation donnée, comme elle peut être le résultat de « l'excès de différence » engendrant une certaine inhospitalité dans un autre contexte. Alors que cette dernière catégorie est largement attestée dans la littérature anthropologique, la première catégorie d'invisibilité y est moins rencontrée. L'examen d'autres expériences de recherche concernant le Maroc permettra d'approfondir ce questionnement. En effet, quand on réfléchit sur le problème de distanciation et l'approche méthodologique de terrain, on peut envisager deux possibilités qui, en quelque sorte, se rejoignent : l'extériorité au groupe observé (ce qui arrive à l'anthropologue allogène au point de devenir « inexistant » aux yeux de son objet d'étude) et à l'autre extrême, l'intégration totale, jusqu'à la dissolution du chercheur dans le groupe étudié. En fait, cette dissolution dans le groupe-hôte est en quelque sorte une autre forme d'invisibilité. Entre ces deux extrêmes, une infinité de postures pouvant déboucher sur la « juste proximité » ou « la distance appropriée » à prendre dans un travail de terrain est possible.

 

Paris, Manchester et retour

 

          Mais voyons tout d'abord comment je suis arrivé à travailler aussi bien dans mon milieu familial que sur ma culture régionale. Durant les études de philosophie que je poursuivais à Paris dans les années 1970, venait de paraître un article de Kenneth L. Brown sur un poème historique d'Ighil, poète de Touzounine dans le Jabal Bani au sud du Maroc2. J'étais émerveillé de lire que l'auteur avait fait du terrain pour étudier l'histoire locale de ma région, et je me demandais comment il avait réussi à construire son objet scientifique sur un sujet que je considérais alors comme étant pour moi une simple affaire plutôt privée et particulièrement individuelle. Intrigué par ce travail sur la tradition orale dans ma région, je voulais en savoir plus sur l'anthropologue en question. Je me rappelle encore avoir demandé naïvement à une amie américaine avec qui j'avais pris le métro parisien si le prénom Kenneth était


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masculin ou féminin. Avec le recul et le temps qui s'est écoulé depuis, je me suis rendu compte que la lecture de cet article a déterminé d'une façon radicale mon orientation vers l'anthropologie socioculturelle. Son effet sur la poésie berbère du sud marocain en tant que document historique, social et culturel a fini par prendre forme dans ma tête. Certes j'avais commencé auparavant à

transcrire des chansons / poèmes berbères à partir d'enregistrements sonores, mais cela avait toujours été fait dans une perspective plus privée et nostalgique ; avec le temps s'est rajouté à cette nostalgie un certain militantisme quelque peu folklorique visant à préserver la culture locale de l'oubli. Mais le

changement radical vers la construction de ma propre culture restreinte (par rapport à « la culture nationale ») comme objet académique ne s'est réellement constitué dans mon esprit qu'avec la lecture de « Violence and Justice in the Souss » de Kenneth Brown. Le fait d'apprendre qu'un anthropologue

américain, venu au Maroc travailler sur le milieu urbain, s'investit corps et âme pour apprendre le berbère-tashelhit et la darija marocaine change à mes yeux l'image de ces deux langues et de la culture qu'elles véhiculent. Le travail de transcription des textes du poète-compositeur-chanteur Lhajj Belaid (mort autour de 1945), que j'avais déjà entamé à temps perdu à Paris, commença à basculer pour devenir un objet d'étude académique et scientifiquement autonome. Ainsi débuta un ensemble d'interviews, en milieu familial et en particulier avec ma mère, chaque fois que je rentrais au pays.


          Ce qu'il faut retenir de cette rencontre avec l'article de Kenneth Brown, c'est d'abord son effet sur mon cheminement individuel vers l'anthropologie en tant que discipline autonome. Je pris conscience du fait que ce qui était une préoccupation jusqu'ici individuelle et à la limite folklorique devint l'objet d'une recherche menée au sein de la communauté scientifique. L'exemple d'un chercheur allogène prenant la peine d'apprendre la langue de l'indigène a transformé le statut de l'objet de recherche, en injectant à cette même culture autochtone une valeur accrue aux yeux du chercheur local.


          Fatigué de traîner à Paris dans une atmosphère universitaire qui me donnait l'impression de tourner en rond, j'avais décidé d'aller préparer un Ph. D de philosophie islamique en Angleterre. J'avais écrit alors à l'Université de Manchester où Ken enseignait la sociologie. Le directeur de The Maghreb Review, que je connaissais pour avoir déjà publié dans son périodique londonien3, avait téléphoné à Ken pour le prévenir de l'heure de mon arrivée à Manchester. Un homme de grande taille m'attendait à la gare et l'accueil fut des plus chaleureux. On alla voir ensemble le chef du « Department of Near Eastern Studies » avec qui j'avais pris rendez-vous. Après l'entretien, Ken me présenta à sa famille. Nous avons passé beaucoup de temps à parler des « choses » marocaines : les travaux de E. Westermark, Aicha Qindisha, le 'ar (malédiction conditionnelle) et bien entendu à écouter les enregistrements du poète Ighil qu'il avait effectués auparavant dans le sud marocain… En tant que co-supervisor de ma thèse sur Ibn Khaldûn avec C. E. Bosworth, nous avons pu

 

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étudier parallèlement certains textes de cette poésie orale. Notre premier travail commun portait sur un poème d'Ighil concernant le tremblement de terre d'Agadir de 1961. Comme je me chargeais d'écouter et transcrire le texte berbère, Ken se méfiait beaucoup de mon parler d'azaghar (la plaine) de Tiznit que j'avais tendance à entendre au lieu de respecter la prononciation du poète montagnard. Il tenait à ce que la translittération soit exacte et fidèle au texte oral, afin de rendre toutes les nuances phonétiques et lexicales du parler de l'auteur. À l'époque je ne comprenais pas l'importance et toute la portée d'une telle « manie ». À travers cette première expérience où j'étais plus néophyte que collaborateur, j'ai appris avec lui comment faire parler un poème composé et chanté au-delà de sa fonction de divertissement pour une audience villageoise restreinte. La première version de cette étude que Ken avait présentée alors à une conférence sur le Maghreb contemporain (Université de Londres, juillet 1980), démontrait pour moi les richesses insoupçonnées de la poésie vernaculaire, non seulement pour l'histoire sociale et culturelle d'un groupe humain particulier, mais aussi pour la compréhension de l'homme tout court face au destin. En comparant le travail de notre poète à d'autres textes issus de la « haute tradition », comme celui de Voltaire sur le tremblement de terre de Lisbonne, on se rend compte que la poésie orale, pourvu qu'on prenne la peine de se débarrasser des préjugés hérités d'une certaine culture dite savante, peut nous révéler une facette de l'humain au-delà de sa particularité linguistique ou régionale. Depuis mon retour au pays, et surtout une fois ma thèse terminée

en 1982, nous avons continué notre collaboration sur la tradition orale berbère en général et les textes d'Ighil en particulier. Bref, Ken m'a initié à découvrir les dimensions universelles de la « petite tradition » de ma région 4.

 

L'interviewée, ma mère


          Travailler dans son milieu familial pour étudier tel ou tel aspect de sa propre culture peut paraître anodin et facile, aussi bien par l'accès que par la participation quasi identique à cette même entité domestique et culturelle. Dans mes propres recherches sur la culture orale berbère (poésie, conte, histoire locale…), j'ai été amené, à un certain stade de mes préoccupations, à exploiter les connaissances de ma mère sur ce sujet. Pour commencer, il s'agissait tout simplement et en premier lieu de lui demander de me re-conter les mêmes légendes, contes d'enfants… et à commencer par l'histoire de Hemmou U-Namir5, qu'elle avait l'habitude de nous raconter quand nous étions petits, mes frères et sœurs et moi. Dans ce sens, mon rapport avec elle en tant que membre appartenant au même cercle familial et s'intéressant à la tradition culturelle locale a traversé plusieurs stades. Tout d'abord, j'étais étonné d'essuyer une défaite totale. ہ ses yeux, ma demande n'en était même pas une, par le fait qu'elle était restée inaudible pour elle, c'est-à-dire non entendue. Malgré mon insistance, à maintes occasions espacées de plusieurs mois, ma mère faisait toujours la sourde oreille. Je n'étais pas pris au sérieux

 

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du tout. Plus tard, une fois, elle se rendit compte que loin de moi était l'idée de plaisanter, que je tenais à ma requête et que mon souhait ne pouvait guère être plus clair et net, elle se contenta de me répondre par un sourire et parfois par un éclat de rire. « Mon fils, tu dois être un peu fou pour t'intéresser encore à ton âge à ces choses archaïques et dépassées. De toutes les façons, je ne m'en

rappelle plus ». Et quand j'ai essayé de lui expliquer que ces « choses » sont aussi un objet de recherche comme les autres et qu'on les étudie tout autant à l'université, au lieu de la convaincre en invoquant l'institution académique, j'ai plutôt contribué à diminuer à ces yeux l'image jusqu'ici prestigieuse de l'université et du travail qu'on y fait (et du coup de mon propre métier).

 

Rqiyya Taddemsirit, « ma sœur »

 

          Dans les années 1980, je devais faire un travail pour la revue Lamalif sur la chanteuse marocaine berbère-tashelhit, Rqiyya Taddemsirit. Odette, la responsable des relations publiques de cette revue et Hakima, une amie commune, devaient m'accompagner, en tant que femmes, non seulement pour mettre à l'aise la chanteuse, mais aussi pour l'impressionner et lui faire sentir l'importance de l'interview. Les deux collègues me tenaient également compagnie pour l'interroger éventuellement sur certains sujets plus intimes – liés à ses aventures amoureuses et sexuelles – si l'occasion s'en présentait. Il y eut d'abord tout un jeu de cache-cache avec plusieurs rendez-vous manqués comme pour mettre à l'épreuve notre détermination. Il nous a fallu beaucoup de patience et de persévérance pour finalement être reçus. La présence de deux femmes citadines « européanisées », ne parlant pas le berbère, dut susciter chez elle intérêt et curiosité et en même temps dérangement et inquiétude. Au énième rendez-vous, elle nous accueillit chez elle avec « son mari », autre vedette de la chanson berbère, et quelques autres personnes. Je menais l'entretien … Le résultat fut un échec total. Chaque fois que je posais une question personnelle, elle nous servait une réponse générale, typée. En fait, elle a fini par se poser à elle-même les questions pour pouvoir déboucher sur des stéréotypes de réponses qu'elle a probablement l'habitude de livrer à n'importe quel journaliste. Mon statut d'anthropologue ne servait à rien… le clou de la rencontre fut la séance photo ; notre hôte refusait d'être surprise dans une posture d'intérieur, elle voulait à tout prix nous servir l'image des

pochettes de ses disques en nous donnant le choix entre un portrait standard dont elle avait une copie ou une photo avec sa tenue de travail. D'autre part, elle ne tenait pas non plus à être enregistrée et nous fit sentir, sans l'exprimer clairement, que le magnétophone la dérangeait quelque peu. La curiosité de mes deux collègues concernant « les questions intimes » se voyait étouffée. Aucune chance d'aboutir dans cette atmosphère. Vu le cours qu'avait pris mon interview, elles n'ont même pas été posées. Bref, l'échec était total.

 

 

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L'excès de ressemblance

 

          De ces deux expériences ethnographiques sans succès, il reste néanmoins une leçon claire à tirer : le fait de partager certains traits culturels avec son objet d'étude ne donne pas forcément des avantages au chercheur. Dans ces deux cas, c'est plutôt le contraire. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le fait d'être « trop proche », « invisible », prive l'anthropologue de perspectives méthodologiquement fécondes. Mais les deux expériences sont-elles un échec pour toujours ? Si c'est vrai pour la deuxième, du moins pour moi, ce n'est nullement le cas pour la première, malgré son blocage pour un certain temps. Autrement dit, chacune de ces deux expériences a une suite qui lui est propre.


a) En ce qui concerne ma mère comme informatrice, mon travail paraît être effectivement dans une impasse totale. Heureusement les choses ne sont pas arrêtées à ce point. En effet, tout a basculé quand mon frère aîné s'est mis à lui faire comprendre qu'effectivement cette culture orale est aussi

importante que tout autre sujet étudié dans le système éducatif. Elle a enfin fini par consentir, comme par l'effet d'une quelconque baguette magique ! À l'intérieur du même cercle familial, il a quand même fallu un tiers pour me faire accéder à cette dernière étape dans mon itinéraire de chercheur. En fait,

il faut dire aussi que mon frère aîné n'est pas simplement un membre quelconque de la famille, mais aussi et surtout le modèle du fils qui a réussi. Contrairement aux autres frères et à moi-même – mais pas forcément aux sœurs – il participe, avec beaucoup plus de zèle, aux mêmes valeurs culturelles et religieuses que ma mère. En plus il est le frère aîné mâle d'une famille patriarcale méditerranéenne. Par conséquent, il est possible qu'aux yeux de ma mère, ce tiers prestigieux soit perçu comme étant plus   « sérieux » et son jugement plus crédible que le mien. Toujours est-il que c'était bien lui qui a su / pu donner un sens à mon travail dans le milieu domestique. Dans cette entreprise, il était la clef du nouveau rapport avec ma propre mère en tant que personne sollicitée sur un sujet pour elle trivial. ہ partir de ce stade, d'autres membres de ma famille consentirent à se joindre à elle pour collaborer, avec plaisir et enthousiasme. Chacun commença à chercher dans sa mémoire pour déterrer ces « choses archaïques ». Quant à elle, non seulement elle se prêta alors à répondre à mes premières interrogations, mais aussi à m'approvisionner de nouvelles données et à aborder d'autres items culturels, y compris la poésie mystique en berbère-tashelhit dont je n'avais jamais soupçonné qu'elle pouvait avoir une si bonne connaissance.


b) Dans le cas de la chanteuse Taddemsirit, il n'y avait pas de tierce personne pouvant jouer, comme mon frère, le rôle d'intermédiaire. Ainsi l'affaire était close pour moi. Mais pas pour les autres. En effet, quelques années plus tard, le quotidien marocain Al-Ittihad al-Ishtirâkî publia une interview en arabe avec la même chanteuse intitulée : « Dialogue franc avec la chanteuse populaire Rqiyyah Taddemsirit : mon enfance était un véritable enfer ». Le texte était accompagné de la même photo « officielle » qu'elle nous avait proposée au

 

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moment de l'entretien. Un certain Ahmed Akhmis qui signait le texte terminait

son interview ainsi 6 :

« - Y a-t-il une question que vous attendez de moi et que je ne vous ai pas encore posée ?

- Non, il n'y en a pas. Je voudrais simplement exprimer ma pleine quiétude concernant cette interview. D'autant plus que je ne suis pas tranquille du tout chaque fois que quelqu'un vient m'interroger. J'ai même refusé deux Françaises qui venaient me voir. J'ai dialogué avec des journalistes arabes mais les liens de communication ne passent pas toujours. De toute façon notre entretien spontané fait plaisir. Pour cela, je vous remercie et à travers vous, le journal al- Ishtirâkî qui s'est intéressé de plus en plus aux questions artistiques et j'espère qu'il continuera dans ce sens. Merci, » ad-ak yajj rbbi sâht-nk « (Que Dieu préserve ta santé !). »


          Un certain nombre de remarques s'imposent ici. Disons d'abord que l'angoisse que suscite le chercheur qui vient observer, interroger, interviewer… son personnage n'est pas surprenante. Dans ce sens on peut comprendre le soulagement d'une artiste comme Rayssa Taddemsirit une fois le travail

terminé – à sa manière. Déjà, tout premier contact, et en particulier quand il est voué à être relaté et livré au grand public, suscite inquiétude et angoisse. D'autre part, bien qu'il ne faille pas exclure a priori le fait que la chanteuse ait reçu d'autres femmes que notre groupe, il me semble qu'il est fort probable que les dites « françaises » ne soient que mes deux compagnons de terrain et amies, Odette et Hakima. Mais la chanteuse ignore-t-elle vraiment que Hakima n'est pas française mais bel et bien « indigène » ? Ne joue-t-elle pas la vedette internationale devant le journaliste local et le lectorat marocain ? Encore plus intéressant, pourquoi éliminer du groupe l'autre indigène et en l'occurrence le berbère que je suis. Pourquoi n'a-t-elle fait aucune mention de ma présence pour le journaliste ? étais-je perçu par l'interviewée plutôt comme guide traducteur, alors que c'était moi qui dirigeais l'entretien ? Ou étais-je simplement « invisible » et « inexistant » pour elle par le fait que je ne représentais pas l'altérité comme mes deux compagnes – étant berbère moi-même comme elle.

          D'autre part, il est fort probable que sans les deux « étrangères » la chanteuse ne m'aurait peut-être pas reçu, même en tant que chercheur indépendant. Mais alors, me dirait-on, pourquoi M. Akhmis a-t-il réussi ? Mon interrogation est la suivante : a-t-il vraiment réussi et par rapport à quoi ? Quel que soit le but recherché par le journaliste, c'est plutôt la chanteuse qui a atteint son objectif dans cette rencontre, après avoir échoué avec nous. N'a-t-elle pas utilisé l'interviewer et son journal pour faire passer l'image qu'elle veut qu'on se fasse d'elle ? Quant à moi, j'avais échoué par rapport à l'objectif de ma recherche, pour la simple raison que j'avais refusé de rester avec elle au niveau de l'image stéréotypée commune à presque toutes les femmes pratiquant des métiers peu « orthodoxes », dans les sociétés musulmanes du moins : j'étais orpheline, ma belle-mère me traitait mal…

 

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j'étais obligée de me sauver… et voilà comment je suis devenue rayssa, cheikha, chanteuse, prostituée… Il est clair que Rayssa Taddemsirit,  a tout fait pour rester à ce niveau de généralités passe-partout. Peut-être, était-ce le but recherché et l'objectif visé par le journaliste lui-même et dans ce cas tout est mieux dans le meilleur des mondes pour l'un et l'autre. De mon côté, ce qui m'avait intéressé était plutôt l'itinéraire personnel et unique de l'artiste en question. Or, il est incontestable que nous étions incapables de percer au-delà des lieux communs unanimement admis. Dans ce sens, notre travail était un échec total.

 

Les risques de la proximité

 

Revenons maintenant à notre interrogation initiale : le fait qu'un chercheur partage, ne serait-ce que dans une certaine mesure, quelques éléments culturels, et en l'occurrence Akhmis et moi avec Rayssa Taddemsirit, ou encore plus moi avec ma mère, lui donne-t-il certains avantages « méthodologiques », « scientifiques » ou autres plus qu'un autre ? Ne peut-on pas supposer ici que l'inverse peut parfaitement être vrai, comme c'est mon cas avec ma mère au moins dans un premier temps. Or, le degré de résistance de la chanteuse à « se braquer » derrière un discours stéréotypé et justificateur n'a d'égal que la proximité de parenté culturelle de l'interlocuteur qui l'aborde, que ce soit Akhmis ou moi-même. Ne peut-on pas imaginer la même artiste se livrer corps et âme à un anthropologue étranger. Je la vois déjà décontractée, souriante avec une certaine complicité, pour se confier malicieusement à cet autre qui vient de loin et avec qui les enjeux et les risques sont nuls – du moins penserait-elle –répondant volontiers à ses interrogations, y ajoutant un petit plus, comme par besoin thérapeutique. Ceci n'est pas une hypothèse gratuite. Dans son travail ethnographique sur le parler de l'Anti-Atlas, un chercheur japonais nous rapporte avec des détails fort intéressants et succulents, aussi bien par leur audace que par leur confidentialité, comment un homme de la région fait l'amour à sa femme7. Personnellement je m'imagine mal pouvoir a priori réussir une telle entreprise. Ne serait-ce que par promiscuité culturelle et par le blocage qui peut survenir de la magie de la langue traitant un pareil sujet tabou. Autre exemple où le statut d'autochtone peut jouer des tours surprenants au chercheur. Ici je prendrais le cas d'un sociolinguiste pour montrer que le problème posé ici concerne tout chercheur face à son terrain et non seulement l'anthropologue professionnel. Lors d'une enquête intitulée « Jews Among Berbers »8 que nous avons entreprise, Joseph Chetrit, Daniel Schroeter et moi, ce premier s'est vu évincé par un de ses compatriotes. De nationalité israélienne, Joseph Chetrit est en effet originaire de Taroudant, qu'il avait quittée quand il avait une vingtaine d'années. Ayant la darija marocaine comme langue maternelle en plus d'une compréhension avancée du berbère-tashelhit, il a travaillé depuis longtemps comme linguiste sur le judaïsme marocain en Israël, au Maroc et dans la diaspora. Tout le long de nos enquêtes


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sur la perception que les Marocains musulmans ont de leurs concitoyens juifs (avec lesquels ils ont vécu jusqu'au départ en masse de ces derniers), il a approché ses bi-compatriotes avec les langues autochtones qui sont les siennes. Durant les quatre étés passés sur le terrain, de 1997 à 2000, l'accent judéo-arabe de Joseph n'a pas dérangé ses interlocuteurs à travers tout le Maroc. A l'exception d'un incident survenu dans le Maroc oriental. En effet, à Outat Lhajj sur la limite sud des hauts plateaux de l'Oriental, Youssef – c'est son nom marocain – était surpris d'entendre d'un monsieur qu'il avait apostrophé en darija cette phrase qui l'avait sur le coup sidéré : « Ici tu ferais mieux de cacher ton parler. » (hadik làarbiya dialk, tms ha'). Il serait trop facile de mettre cette réaction sur le dos d'un antisémitisme primitif des Marocains de confession musulmane envers leurs concitoyens juifs. A mon avis, ce serait une erreur, car comment expliquer l'attitude inverse envers le même Youssef durant la même période d'enquête à travers d'autres régions du monde rural marocain ? Tout le temps qu'a duré notre travail de terrain, que ce soit dans le Souss, à travers l'Atlas, la vallée du Draa ou le reste du Maroc, l'accent de Joseph est reconnu et accepté comme particularité de la langue darija marocaine. Les gens étaient plutôt contents d'entendre cet européanisé s'adresser à eux dans ce parlé judéo-arabe qui leur évoquait de bons souvenirs. Jusqu'ici, l'utilisation de sa langue maternelle avait plutôt joué favorablement pour lui. C'est uniquement dans ce patelin du Maroc oriental qu'on avait rencontré cette attitude clairement négative. S'agit-il ici d'une association dans la mentalité locale entre juifs d'Algérie de nationalité française venus avec les Français et les colons du Protectorat eux-mêmes? Peut-être bien. Toujours est-il que se positionner comme autochtone avec tous ses atouts peut jouer des tours inverses selon les lieux et les circonstances historiques ou autres. Pour Joseph Chetrit donc, faire sortir sa carte d'indigène à un moment donné en approchant ses bi-concitoyens autochtones dans le parlé dialectal avec un accent judéo-arabe n'est pas avantageux. Au contraire, il était même risqué pour lui et fatal pour l'enquête et ses objectifs.

 

Le statut de l'anthropologue dans le groupe-hôte

            Dans son approche du groupe étudié et de sa culture, on peut se demander tout d'abord en quoi consiste la stratégie de l'anthropologue sur le terrain et de quoi s'agit-il au juste ? D'arriver à une imitation de « l'autre » et d'épouser sa vision des choses pour comprendre (Verstehen), ou tout simplement d'être suffisamment proche pour aborder ce qu'il cherche, avoir accès à une certaine information fiable nécessaire à son travail, répondre à un ensemble de questions posées a priori… ou les deux à la fois ? Or, sait-il d'avance de quoi s'enquérir ? N'est-il pas sur le terrain parce que justement il ignore les données de sa recherche, la vision que l'Autre a de lui-même, des autres et du monde ? En tant qu'anthropologues, notre degré d'ignorance n'est pas forcément le même pour chacun et devant tous les terrains que nous voulons

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approcher. Il en est de même pour les éléments culturels que chaque anthropologue/ethnologue partage avec son propre objet d'étude. Certes, on part sur le terrain avec une certaine hypothèse, explicite et claire ou implicite et inconsciemment refoulée. Comme la nature, l'approche de l'autre a horreur du vide. ہ part cela – en plus de nos lectures – tout est aventure. En effet, les formes que peuvent prendre les rapports anthropologue/sujet sont multiples, variées et en perpétuelle transformation – parfois en fonction d'événements quotidiens. Nous citerons ici deux cas relatifs au terrain marocain approché respectivement par deux jeunes chercheurs anglais. Celui de Ian Whitelaw qui – progressivement – se voit pris dans la toile d'araignée que constituaient pour lui les relations des gens du village qui l'avait accueilli en tant qu'anthropologue, et celui de Jasper Winn à qui l'on a fait franchir – étape par étape – quatre types de relation dans le groupe-hôte, objet de son travail de recherche.

 

Changement progressif

 

Ian Whiteaw, étudiant britannique, était venu faire une thèse d'anthropologie culturelle au Maroc au début des années 19809. Dans ce but, il s'était installé dans le petit village des Ida Gwa-Gmar, une des tribus de la confédération des Ida Weltit, près de Tazerwalt dans l'Anti-Atlas. Ian raconte que son acceptation parmi les villageois n'a vraiment commencé que le jour où l'on a décidé de lui changer de nom et de l'appeler Abdel-Wahed. De son prénom Ian, on a fait « yan », qui veut dire en berbère-tashelhit « un », « l'unique ». Comme on a estimé que Seul Dieu bénéficie de cet attribut, ses hôtes avaient trouvé qu'il était plus judicieux de le nommer « l'Adorateur-del'Unique ». Ce rite de passage n'a d'ailleurs fait que lancer le processus de son intégration dans la communauté villageoise. Jusqu'ici, raconte-t-il, on lui avait en quelque sorte accordé le privilège (exclusion selon les autres) de rester en dehors des conflits villageois. Mais au fur et à mesure que sa connaissance de la langue et des coutumes locales augmente et que son comportement, par conséquent, se conforme de plus en plus avec celui de ses hôtes, les groupes en discorde se le disputent. Quand éclata la dispute au sujet de Timzguida (école coranique) qui déchira le village, on l'accula alors à prendre position pour l'un ou l'autre des deux partis. Or, comment Ian a-t-il pu en fait se maintenir jusqu'à maintenant à l'écart de ces conflits ? Est-ce lui qui a su jusqu'à maintenant éviter de « se mouiller » ou bien c'est le groupe qui l'a empêché de s'immiscer dans les affaires communautaires ? Pourtant, les enjeux sociaux ne manquaient guère dans le groupe humain qu'il s'était assigné d'étudier dès son installation au village et certainement avant son arrivée. À vrai dire, dans ce cas, comme dans toute situation sociale d'ailleurs, beaucoup de facteurs entrent en jeu. Toujours est-il que Ian a vécu sa position en dehors des conflits plutôt comme un confort qui lui a permis de rester observateur privilégié de son objet d'étude et maître de son terrain de

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recherche. Son art consistait plutôt à retarder ce moment décisif où ses hôtes l'obligent à quitter sa « tour d'observation » et à abandonner sa position privilégiée.

Changement par étapes

             De nationalité britannique aussi, Jasper Winn est plutôt écrivain, journaliste, photographe et réalisateur de films documentaires pour la télévision. Dans ce but, il a voyagé partout dans le monde et dans ses coins les plus reculés. Quand j'avais fait sa connaissance ici au Maroc en 1993, il était un Winston Churchill Fellow. Durant cette année, il est allé vivre avec les transhumants Ayt Atta et leurs troupeaux de moutons et chameaux. En compagnie d'une des familles qui l'avait « adopté », il avait parcouru presque 2 000 km à pied et par mule10. Dans ce cas comme dans celui de Joseph Chetrit, le fait que le chercheur ne soit pas anthropologue de profession ne change rien à la problématique centrale ici discutée.

          Durant notre rencontre à Rabat, Jasper me raconte avoir déjà passé auparavant quelques semaines dans le versant sud-est du Haut-Atlas oriental avec ces nomades. Les différentes étapes de son intégration dans le groupe sur lequel il a voulu faire son reportage m'ont été relatées par lui : « D'abord les gens me considéraient comme un objet – parmi tant d'autres – de leur paysage [like a rock était son expression]. On me rencontre sur les chemins sans me saluer, ni même me regarder et encore moins me voir. » D'après lui, on ne le mentionne même pas dans leurs discussions. Toutefois, durant cette phase, s'il lui arrive de demander à quelqu'un d'entre eux une information, son interlocuteur lui répondrait certes, mais ne relaterait nullement leur entrevue à son groupe comme un événement digne d'être mentionné. Nous nommerons ce niveau de relation dans l'expérience de Jasper « étape de l'invisibilité relative » ou, ce qu'il aurait sans doute préféré, « étape de like a rock ». Elle correspond sans doute à celle qu'ont vécue les Geertz avant l'incident décisif qui a permis leur « émergence dans le champ visuel » de la communauté balinaise11. Puis, avec le temps, les gens commençaient progressivement à le considérer comme s'il était un simple touriste venant visiter la région. On se comporte avec lui comme on l'aurait fait avec une personne d'une autre région du Maroc traversant leur terroir par pure curiosité. On le regarde, on le reconnaît en tant qu'individu puisqu'on commence à le saluer chaque fois qu'on le croise… Pas plus. Nommons ce niveau de relation « étape de visibilité ». Vient ensuite la phase d'invitation. Les gens prennent l'initiative de l'approcher et lui offrir leur hospitalité. Jasper est maintenant le bienvenu à prendre le thé, et même à manger avec les membres de la famille, tous ensemble, mais sans la présence des femmes. On peut intituler ce niveau « étape de reconnaissance ». Enfin, Jasper franchit le Rubicon pour devenir en quelque sorte un des membres du groupe. Ainsi, on lui permet de participer aux travaux quotidiens et de partager les tâches

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 domestiques au sein du foyer qui l'avait accueilli. Il prend ses repas avec tous les membres de la famille, y compris les femmes. « Etape d'intégration ». Il faut ajouter que le statut final de Jasper qui a traversé au moins quatre niveaux distincts, n'est pas pour autant définitif et fixé une fois arrivé au stade final d'intégration. Il raconte d'ailleurs avoir régressé après un certain temps de son statut d'intégré à celui d'invité. Que s'est-il passé au juste ? Il n'en sait absolument rien, sinon que « cette régression » est advenue après le retour de son hôte du marché hebdomadaire. La famille qui l'avait accueilli refusa soudainement de le laisser participer aux travaux domestiques pour le reconsidérer de nouveau comme un simple invité.

Un flux et reflux perpétuel

           Que peut-on conclure de ces deux exemples allogènes, sinon que les formes que peuvent prendre les rapports chercheur / sujet sur le terrain ne sont et ne peuvent pas être connus d'avance ? étant d'un dynamisme implacable, ceux-ci n'ont d'égal que l'instabilité et la fragilité de tout rapport humain lui-même. Aussi peuvent-ils subir des changements en fonction des circonstances souvent indépendantes de l'anthropologue et/ou de son sujet de recherche en tant qu'entité autonome. Il va de soi que ni lui ni ses hôtes ne maîtrisent a priori les règles du nouveau jeu que son entrée va bientôt déclencher. Tellement les variables sociales sont multiples que le résultat de leur chimie est parfois inattendu pour un parti comme pour l'autre. La trajectoire de Jasper Winn en particulier illustre bien ce perpétuel flux et reflux qui caractérisent la vie tout court.

          Dans le cas de Ian Whitelaw, si on laisse de côté le point de vue du groupe étudié sur la question par manque de données et si l'on se contente de la perspective de l'anthropologue et ce qu'il m'a rapporté sur son expérience de terrain, on peut poser la question suivante : combien de temps le groupe-hôte octroie-t-il au chercheur le privilège de rester en dehors des problèmes inhérents à toute communauté humaine ? Il est bien entendu illusoire de penser que l'observateur extérieur peut espérer rester incessamment en deçà de ces incidents inévitables. Seuls les marabouts de Gellner peuvent prétendre à ce statut socialement confortable – d'après ce dernier. Dans leur cas tout au moins, ils sont théoriquement porteurs de solutions à ces mêmes enjeux conflictuels qui les rendent nécessaires. Les partis antagonistes à Ida Gwa- Gmar espéraient-ils autant de Ian avant et jusqu'à l'incident au sujet de Timzguida ? Ce changement d'attitude de la part du groupe est-il l'expression de sa déception envers l'étudiant anthropologue anglais qui n'a pas pu être à la hauteur de cette tâche qu'on attendait peut-être de lui : l'arbitrage de leurs conflits ? Peut-être. Mais, il faut se demander à ce point si tout anthropologue souhaite – et dans l'affirmatif, pour combien de temps – bénéficier de ce que Ian lui-même considère comme une position véritablement privilégiée.

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 L'étape d'« invisibilité » – que ce soit dans le cas de trop grande extériorité (Jasper Winn) ou l'inverse, comme dans mon cas avec ma mère ou encore avec ma « sœur culturelle » – doit présenter certains avantages pour le chercheur. Aux yeux de Taddemsirit, je ne comptais pas – d'après ce qu'a rapporté le journaliste – parce que vraisemblablement je n'étais pas culturellement et linguistiquement très différent d'elle comme l'étaient mes deux collègues. Dans le cas de ma mère, j'étais bel et bien visible, peut-être trop, mais certainement et manifestement écervelé pour elle au début de ma démarche. Ma position se distingue de celle de Ian Whitelaw dans le village par exemple par le fait que je suis culturellement étranger au niveau de la croyance (pour ma mère du moins), mais pas au niveau de la connaissance de cette culture (à mes yeux). D'un autre côté, je suis biologiquement et – en un sens – culturellement partie prenante de l'univers de l'interlocutrice, ma propre mère. Cet état de choses a débouché sur une impasse. Si j'ai réussi plus tard dans un cas et pas dans l'autre, c'est que j'avais plus de temps et d'occasions pour « harceler » un parent et pouvoir passer d'un stade à un autre que pour atteindre quelqu'un d'autre comme notre vedette que nous avons essayé de traquer des semaines durant. (en plus de l'absence d'un tiers jouant le rôle d'intermédiaire). Le fait de ne pas cesser de jouer à cache-cache avant d'avoir droit au premier rendez-vous pourrait décourager l'anthropologue le plus intentionné.

 « Culture nationale » et flair anthropologique

          Kenneth Brown a fait ses enquêtes de terrain dans le Jabel Bani sur la poésie berbère au début des années 1970. Comme cela a déjà été dit, notre premier travail commun alors que j'étais encore son étudiant à Manchester était basé sur ces premiers enregistrements. J'ai refait le même terrain dans le même but au début des années 1980. Ce qui intéresse notre problématique et que je vais évoquer ici, ce ne sont pas ces deux premiers cas mais plutôt les deux autres fois dans lesquelles je me suis rendu dans la même région dans le même but de travailler sur la poésie berbère : une fois avec un collègue arabophone marocain en mars 1989 et l'autre en avril 1994 avec Kenneth lui-même. Avec ce dernier, il s'agissait alors d'enquêter sur « les expressions traditionnelles locales »12. Dans le cadre d'un travail de traduction des textes de Lhajj Belaid que j'avais entamé avec ce collègue marocain, on avait décidé de visiter les lieux qu'avait fréquentés ce grand aède durant sa vie de chanteur. Lors de ce voyage, nous avons été amenés à faire le même terrain pour nous entretenir avec les poètes berbères de la région. En tant que Marocain arabophone ne maîtrisant pas la langue locale (qu'il comprend pourtant jusqu'à un certain point), mon collègue fut acculé à utiliser la langue darija pour communiquer sur un sujet bien particulier. L'avantage d'être autochtone ici est par conséquent bien relatif.

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          Cette expérience peut être comparée à celle de Kenneth Brown sur le même terrain linguistique et culturel. Bien qu'étranger – ou peut-être parce qu'il est étranger – Ken, en faisant usage de sa connaissance du berbère mélangé parfois d'arabe dialectal avec un accent bien marqué, naviguait plus aisément dans cette aire culturelle que mon compatriote. C'est durant ce voyage destiné à recueillir la poésie féminine de la région qu'on a pu faire connaissance avec Zayniba, femme marginale de Tata. Sans la présence de Kenneth dont le flair anthropologique dépasse les paramètres d'indigène et d'allogène, je n'aurais jamais abordé un tel personnage. Voici comment il décrit cette femme considérée par son entourage comme « la folle du village », à Edmond El-Maleh : « Je ne sais pas pourquoi je ne cesse de l'observer du coin de l'œil tout le long du repas, alors qu'elle est assise loin de nous. Le sentiment que quelque chose d'important allait se produire et dans la minute qui suit, je l'entends chanter en berbère. La voix est des plus remarquables. Du coup, je la regarde plus attentivement. Elle est réellement séduisante, des yeux, un visage lumineux, un port gracieux en tous ses gestes et mouvements. Des traits fins que seul un nez rond vient gâcher. Des mains laides noueuses, mais des pieds menus glissés dans des belgha. Elle porte un châle tâché par des traces de brûlures de cigarettes mais l'ensemble de ses vêtements est tout à fait présentable. De plus en plus intrigué, je prenais plaisir à la regarder. »13 Pourquoi une telle rencontre avait-elle été moins probable si j'étais tout seul ou avec ce collègue marocain par exemple ? Peut-être parce que Kenneth Brown avait non seulement cette capacité d'aller à la rencontre de l'humain là où il se cache et sous toutes ses formes, mais aussi l'ouverture d'esprit et de cœur pour profiter de toutes les éventualités qu'offre un travail de terrain, une certaine disposition à assumer l'aventure qui s'ouvre au chercheur une fois sur le terrain. Or Kenneth n'est-il pas ce genre d'anthropologue qui est tout le temps et partout sur le terrain – même quand il prend un taxi pour se rendre à un rendez-vous urgent ? Probablement. Mais ce qui est certain dans ces deux expériences, c'est bel et bien la non-pertinence du fait d'être partie prenante ou non de ce qu'on a l'habitude d'appeler, depuis la constitution des états-nations, « la culture nationale ». Il est aussi incontestable que cette attitude qu'on retrouve chez certains anthropologues comme Ken à aborder des problématiques fondamentales avec un air décontracté ouvre souvent des richesses insoupçonnées pour qui travaille sur la tradition orale. Son attitude « pas sérieuse », qui déroute souvent ceux qui confondent la forme et le fond, constitue en fait la clef d'accès au cœur des petites gens où se love une bonne partie de la culture humaine.

 Distanciation et méthodologie

          Essayons à ce stade de répondre à notre première interrogation : y a-t-il des niveaux de relation avec le groupe comme objet de recherche plus « scientifiquement » avantageux, que d'autres ? Autrement dit : « l'étape


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 d'invisibilité » de Jasper Winn (ou de Geertz en l'occurrence) met-elle l'anthropologue dans une perspective méthodologiquement moins féconde quant à son objectif que « l'étape d'intégration » ou l'inverse ? Ian Whitelaw est-il mieux placé pour saisir les enjeux culturels dans son terrain après ou avant la crise au sujet de Timzguida – ou plutôt pendant ? Le fait de fusionner culturellement avec ma mère (ou même avec la chanteuse berbère…) me donne-t-il plus d'accès à cette culture ou me prive-t-il de certains de ses aspects (ou les deux à la fois) ? Le fait de ne pas faire partie de ladite culture nationale empêche-t-il l'anthropologue de saisir certaines nuances de la culture locale ? Les réponses à ce genre d'interrogations dépendent non seulement des objectifs de l'anthropologue sur le terrain, mais aussi et surtout de sa flexibilité à fructifier « ce que son expérience de recherche a fait de lui ». Ici, nous nous interrogeons plutôt avec H. G. Barnett sur le problème de la vérification14 : L'approche adoptée est-elle adéquate au but recherché ? Plus exactement, le point de vue « choisi » – parfois imposé par la situation totale – répond-il à la question posée de telle façon que la réponse donnée peut être vérifiée. Pour aller vite, il nous semble que les quatre étapes par lesquelles Jasper Winn, par exemple, est passé, présentent toutes, et chacune à son niveau, des perspectives fructueuses pour le chercheur. Malheureusement, nous n'avons pas de données sur le travail final de Jaspers – si un tel travail il y a – pour savoir s'il a mis ces différentes étapes et perspectives à profit. Bien entendu, aucune des différentes positions/étapes n'est une fin en elle-même. Chacune doit être vécue comme moyen par lequel l'anthropologue tente de saisir une facette de la réalité étudiée. Par conséquent, un certain angle de vue peut éclairer des coins d'ombre qui échappent au chercheur à partir d'une autre optique.

          Dans ce sens, la question pertinente n'est plus de savoir si en tant que chercheur sur le terrain on est « distancié », mis à l'écart, voire rejeté par rapport à son objet d'étude, ou bien envahi, submergé, broyé, voire « kidnappé » par ses hôtes et assimilé par ceux qu'on est censé étudier. Il s'agit plutôt de mettre à profit la perspective que la relation impose à l'ethnologue. Certainement il y a une diversité de points de vue à partir desquels on peut observer/étudier son objet et chacun de ces points de vue permet, à notre avis, de révéler certains aspects cachés pour d'autres. Plus important, de nouvelles interrogations jusqu'ici insoupçonnées peuvent surgir de ces positions inattendues et imposées par la dynamique du terrain. À la question épistémologique : y a-t-il des perspectives plus scientifiquement avantageuses que d'autres ? nous répondrons par la négation. Or un chercheur C peut ne pas être intéressé, dans un temps T du moins, par la perspective P que son sujet d'étude lui impose, mais plutôt par la perspective P' que les circonstances ne lui permettent pas ou pas encore. Et si ce choix relève bien évidemment de son droit, il n'en demeure pas moins vrai qu'il n'a rien à voir avec la pertinence méthodologique et la congruence scientifique de la recherche.

          D'autre part, n'oublions pas que la relation chercheur/groupe humain étudié est une relation mouvante, voire dialectique. L'homme de terrain peut

 

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changer de statut dans le groupe, ce qui veut dire qu'il peut passer d'une « station » à une autre selon une panoplie de variantes, mais aussi en fonction de sa flexibilité et un peu de sa chance (c'est-à-dire des circonstances). Ici, comme dans la vie tout court, le hasard peut être déterminant. Or le fait qu'il n'y ait pas de point de vue privilégié doit inciter l'anthropologue averti à tirer tous les avantages du statut que lui impose cette relation à un moment donné. D'autant plus que certaines perspectives peuvent être comblées par l'apport de l'écrit et l'expérience d'autres chercheurs. Bref, il y a parfois certains atouts à être l'autre, le différent, l'étranger... Peut-être ma mère, dans ce nouveau rapport que j'essayais d'établir avec elle, m'a perçu comme tel. Toujours est-il que même dans ce cas limite qui est le cadre familial, l'expérience du terrain reste « le moyen le plus efficace pour se comprendre soi-même »15. Confronter sa propre mère sur un domaine où l'on a deux perspectives et appréciations différentes peut aussi avoir un effet de miroir.

          De ces réflexions découle entre autres cette interrogation : y a-t-il forcément superposition entre l'unité d'étude et une quelconque « unité » culturelle au sens très large du terme : le genre, l'ethnie, l'adhérence religieuse, la culture régionale ou nationale… ? Plusieurs volets de cette problématique nous interpellent constamment. Par le fait qu'ils touchent à des domaines actuellement très sensibles, il me paraît important et urgent de soulever quelques interrogations à leur sujet. Une certaine mode dans les sciences humaines tend de plus en plus à brouiller la ligne de démarcation entre ce qui relève du domaine émotionnel et subjectif et ce qui peut rester « neutre », « objectif » et intellectuellement accessible à l'Autre qui ne partage pas forcément les mêmes croyances, qu'elles soient religieuses ou autres… On se contentera ici de les énoncer sous la forme suivante : le fait d'être femme chercheur dans un contexte patriarcal accorde-t-il à celle-ci certains atouts scientifiques ou prérogatives méthodologiques plus qu'un homme ? et dans l'affirmative, ne la prive-t-il pas en échange de certains avantages ? Deuxième volet de l'interrogation : le fait d'appartenir à une ethnie ou à un groupe culturel et linguistique privilégie-t-il le membre de cette entité, lui permettant d'avoir une meilleure compréhension du groupe culturel. Et dans l'affirmative, comment situer les limites culturelles? Où commence et où finit une entité culturelle « X » pour laisser la place à une entité culturelle « Y » ? Quand on parle de culture, de sous-culture ou sub-culture… peut-on savoir où tracer la frontière entre l'une et l'autre, où placer la ligne de démarcation entre un espace culturel partagé et ce qui ne l'est pas. Autrement dit, l'altérité est-elle une entité objectivement définissable ou simplement idéologiquement construite, donc constamment en mouvement ? Alors que l'unanimité d'opinion peut-être valable et même désirable dans le cas d'un corps religieux, un parti politique ou toute autre entité idéologique, je dirais que la diversité d'opinions, et en l'occurrence de perspectives est une nécessité méthodologiquement) enrichissante pour tout travail de recherche.


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 notes

1. Une première ébauche de ce travail a été préparée dans le cadre d'un séminaire organisé en 1994 par Susan Ossman, directrice de l'ex-IRMC (Rabat). Ce papier a fait en outre l'objet d'une contribution au colloque international sur les « Traditions anthropologiques en Méditerranée » tenu à Casablanca en mai 1999. Pour ce qui est de cette version finale, je tiens à remercier ici M. Tozy et D. Albera pour leurs commentaires et suggestions.

2. K. L. Brown, 1973.

3. A. Lakhsassi, 1979.

4. Voir K. Brown and A. Lakhsassi, 1980 ; Id., 1987 ; Id., 1992 ; Id., 2001 (version arabedu premier travail commun remaniée). Ma seule étude sur un des poèmes de Hummad Ighil est clairement inspirée de l'expérience acquise en travaillant avec Kenneth Brown, voir A. Lakhsassi, 2000.

5. Sur ce mythe qui a fait partie de la culture générale de tout enfant berbère jusqu'aux générations post-Indépendance qui ont connu la télévision à la place de soirées dorées de contes merveilleux autour des femmes, voir H. Stumme, 1885, p. 17-20 et 102-105 réédité par H. Stroomer, 2002, p. 76-82 ; ة. Laoust, 1918, p. 388- 396 ; L. Justinard,

1925, p. 74-79 (trad. française) et 99-101 (fragments du texte chleuh) ; A. Roux, A. Bounfour, 1990, p. 96-105 ; C. et F. Choffat, 1978, chap. 14, p. 115-125. Ce mythe de Hemmou u-Namir a marqué des poètes et romanciers nourris par cette culture ancienne berbère, voir par exemple Ali Sidqi Azayku, 1995, p. 38- 42 ; M. Kheir Eddine, 1973, p. 34-36.

6. A. Akhmis, 1988.

7. A. Nakano, 1995, p. 29-30.

8. Les résultats de cette enquête sont pour la plupart encore inédits. Chacun des trois chercheurs les exploitent séparément, voir par exemple D. J. Schroeter, 2000, et surtout J. Schroeter (2001) où il rapporte d'autres aventures survenues lors de nos enquêtes sur le même terrain.

9. A ma connaissance, Ian Whitelaw n'a malheureusement pas rédigé sa thèse jusqu'à maintenant.

10. Sur Jasper Winn et ses différents voyages et travaux, voir www.travelintellegence.net/writ_68.html

11. C. Geertz, 1973, p. 412-417.

12. Sur ce voyage, voir l'article de K. Brown, « Voyage aux confins du Maroc », Le Monde diplomatique, septembre 1994.

13. Sur cette femme, voir le texte de E. A. El-Maleh, « Zayniba », 1999- 2000. Le personnage de Zayniba a en outre inspiré un autre écrivain que Kenneth avait présenté alors à Edmond El-Maleh, encore à Paris, pour lui traduire les enregistrements des quelques fragments de poésie berbère que Zayniba a bien voulu chanter pour nous. En effet Afulay a écrit une nouvelle en berbère (texte inédit) sur le même personnage à partir de ce que Kenneth lui avait raconté, en plus de sa voix reprenant ces fragments de poésie berbère et de quelques photos que nous avons prises d'elle lors de notre enquête.

14. H. G. Barnett, 1983, p. 172.

15. Ibid., p. 169.

 

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07/06/2009
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