Pourquoi la langue des juifs berbères n'est pas l'amazigh ?
Paru dans :
Le Maroc aujourd'hui (Marocco Oggi),
sous la direction de Paola Gandolfi, Casa editrice il Ponte (Venezia) 2008, pp. 139 - 154.
POURQUOI LA LANGUE PREMIERE
N'EST PAS AMAZIGHE ?
Abderrahmane LALKSASSI
Quand on parle des relations entre juifs et musulmans au Maroc, on a souvent tendance à invoquer tantôt la symbiose (Rosen 1984) judéo-berbère et tantôt la discrimination (Stillman 1991). Dans le cas de symbiose et intégration, on fait allusion non seulement à la façon de vivre des juifs parmi les berbères, leurs us et coutumes, certaines habitudes vestimentaires et culinaires… mais aussi à la visite aux saints locaux, à certaines fêtes particulières comme la Mimouna et tout particulièrement ces joutes oratoires entre les deux communautés. Il ne s'agit pas ici de nier l'existence de ces phénomènes mais plutôt d'y regarder de plus prés pour voir en quoi consiste cette symbiose. (1)
Dans le cadre d'une étude de terrain entreprise en collaboration avec Josef Chetrit et Daniel Schroeter sur « Jews among Berbers » durant quatre étés consécutifs (1997-2001), l'interrogation constante qui m'a personnellement hantée tout le long de cette enquête à travers le Maroc rural était de savoir ce que parlaient les juifs dans leur milieu familial. Quelle langue utilisait le mari avec sa femme et ses enfants ? A notre grande surprise, même dans les coins les plus reculés de l'Atlas où, jusqu'aux années 1950, rares encore étaient les berbères musulmans qui parlaient l'arabe, les berbères juifs / les juifs berbères utilisaient pour communiquer entre eux précisément cette dernière langue. Comment expliquer un tel phénomène ? Comment se fait-il que c'est l'arabe ou plutôt le judéo-arabe qui était la langue première des juifs parmi leurs concitoyens berbérophones ? Des juifs de l'Atlas interviewés dans les années 1980 en Israël par Chetrit connaissaient par cœur des fragments de poèmes en amazigh-Tashelhit (2). Seulement, leur connaissance de cette langue laisse beaucoup à désirer. Même un poète comme Mimoune El-Maleh, surnommé Làazz à Tachemchit n Iftwaken (près de Demnat) et qui se révèle d'une mémoire exceptionnelle quant aux textes poétiques amazigh fait énormément de fautes de grammaire berbère et quelque fois de sens. La métrique non plus n'est pas toujours respectée. Où vivaient alors ces berbères juifs (ou juifs berbères) monolingues dont on a souvent entendu parlé ? Question difficile à trancher à l'état actuel de nos connaissances.
Durant notre enquête, on nous parlait souvent que de telles communautés juives monolingues (ne parlant que le berbère) existaient et se trouvaient un peu plus loin, ailleurs que là où on nous les avait indiquées précédemment. Tantôt c'était à Tidili n Iftwakn (72 km de Demnat) d'après les gens de cette région en Israël ou ceux de la diaspora interrogés par Chetrit. Tantôt c'était à Ayt Bouwulli en plein Haut-Atlas oriental. Et tantôt, c'était à Tifnut dans le versant sud du Haut-Atlas (source de l'oued Souss). Mais les musulmans sur place qui vivaient avec les membres de ces communautés maintenant émigrées nous confirment à chaque fois le contraire. Au fur et à mesure de l'avancement de notre enquête sur le terrain, celle-ci allait clairement à l'encontre de toutes ces prétentions. Enigme s'il y en a une.
I. Origines lointaines des israélites marocains
Un des premiers enquêteurs à être confronté par une telle énigme est Jean Chaumeil. Travaillant sur le mellah de Tahala (90 km de Tiznit vers Tafraout) dans l'Anti-Atlas au début des années 1950, il pose le problème de l'origine des israélites du sud marocain sous forme de deux hypothèses (Chaumeil 1953). D'une part, les juifs du Souss marocain seraient des berbères ayant embrassés le judaïsme pendant la période préislamique. «Dans cette hypothèse, écrit-il, on s'expliquerait mal que la langue utilisée dans les familles juives actuelles de l'Annexe de Tafraout soit l'arabe, alors que tout le monde ne parle que le berbère alentour ». (p. 228) D'autre part, selon d'autres traditions, certaines tribus juives d'Afrique du Nord seraient venues de la région de Khaibar, en Arabie… . Et il ajoute : « on s'expliquerait alors qu'ils aient conservé l'usage de la langue arabe » (p. 228 - 9).
Seulement, il faut dire que même dans le cas de cette deuxième hypothèse, le problème reste entier. D'abord parce qu'un tel phénomène ne concerne pas uniquement les juifs de Tahala ni même de la seule région du Sud du pays, mais bel et bien toute la montagne berbérophone. Et deuxièmement, l'arabe parlé des juifs dans le monde berbère est un judéo-arabe «purement» marocain n'ayant presque rien à voir ni avec Khaybar ni avec l'Arabie « bienheureuse ». Voici comment le décrit ce premier témoin lui-même :
« Cet arabe est naturellement un arabe impur [/ particulier] mélangé de mots berbères et de quelques termes hébreux. L'accent est celui des mellahs du Nord : chuintement des « sin » qui deviennent presque des « chin », avalement des consonnes finales, nasillement des voyelles… Les chleuhs de Tahala appellent par dérision l'arabe des juifs taqullit , raillant ainsi les innombrables iqûl-li, qâl-li (il me dit, il m'a dit) qui scandent les phrases. » (p. 233)
Si on admet une date aussi récente, plus prudente et moins audacieuse que la destruction du Second Temple (70 de l'ère chrétienne) comme date d'arrivée des juifs en Afrique du Nord, on est d'autant plus surpris du fait que les communautés israélites les plus isolées et dans les coins les plus reculés parlaient le judéo-arabe comme langue première. A part la communauté de Tahala dont Jean Chaumeil nous affirme que c'est bel et bien l'arabe et «non le chleuh» qu'emploient les femmes et les enfants au foyer «sans exception» (p. 232), voici quelques autres données ethnographiques ailleurs qu'ici : Dans son étude sur le Jebal Bani au sud de Tiznit, Vincent Monteil écrit en 1946 : «Entr'eux, les Juifs de ces mellahs parlent arabe. Vivant en milieu berbérophone, ils utilisent la tashelhit pour leurs relations avec les musulmans. Seuls quelques lettrés savent lire et écrire l'hébreu biblique. (Monteil 1946 : 385 – 405). Durant les années 1980, Paul Pascon et Daniel Schroeter qui enquêtaient sur le cimetière des israélites de Tazerwalt (Anti-Atlas) notaient que « la langue utilisée par les Juifs d'Iligh était l'arabe, bien qu'ils parlassent tashelhit avec leurs voisins musulmans. Les différences régionales dans le parler arabe pourraient être un moyen de connaître leurs origines. Par exemple, quelles déformations se sont produites dans les régions berbérophones ? » (Pascon et Schroeter 1982 : 49) D'autre part, conduisant une expédition au cœur du Haut-Atlas oriental, à Ayt Buwulli (40 km de piste de Demnat) dans les années 1950, A. Goldenberg relevait qu'ici, «entre eux les juifs parlent arabe mais ils connaissent aussi le berbère qu'ils utilisent pour parler avec les musulmans » (Goldenberg 1952 : 28). Ailleurs, vers la fin des années 1940, Vincent Monteil réitère sa remarque sur le cas des Israélites d'Ifrane (Ufrane pour les juifs) de l'Anti-Atlas ainsi : «Comme je l'ai observé dans les ghettos du Bani, les juifs d'Ifrane parlent arabe (ou plutôt, judéo-arabe) entre eux, berbère pour leurs relations commerciales avec les Chleuhs au milieu desquels ils vivent, hébreu pour le culte, et enfin argot hébraïque (tallashunt) devant un gôy ou étranger suspect. » (Monteil 1948 : 151-160 et 154)
Que conclure de ces témoignages de la période juste avant l'Indépendance concernant les communautés israélites du Sud marocain – y compris celle d'Ifrane ? A noter ici que, de toutes ces communautés, cette dernière est incontestablement une des plus anciennes sinon la plus ancienne de tout le pays. Aujourd'hui encore, les deux cimetières juifs de cette localité sont entourés de mystères qui témoignent de leur ancienneté. Si dans le premier, « Nisrafim », les juifs croient jusqu'à aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas y entrer qu'à leur péril, le second, « Mghira », est considéré comme composé de sept couches d'anciens cimetières superposés. Et si on trouve encore une fois le judéo-arabe pratiquer ici à Ifrane, l'énigme reste toujours entière malgré le mouvement constant qui caractérise le juif aussi bien urbain que rural. On peut alors re-formuler la question comme suit : à partir de quand ces communautés berbérophones se sont-elles arabisées ? Difficile de répondre à ce stade de notre connaissance.
Pour Joseph Chetrit, le judéo-berbère était relativement un phénomène unique, car contrairement au judéo-arabe et judéo-espagnol, il était seulement une langue vernaculaire. (3) L'existence des textes oraux en judéo-berbère, comme la Hagaddah de Pisah (Galand & Zafrani 1970) étaient plutôt produit sur commande « comme parodie ». D'autre part, l'aptitude des juifs à voyager et à servir de maillons entre les centres urbains à forte concentration de leurs coreligionnaires arabisés et le monde berbère peut expliquer l'adoption du judéo-arabe, plutôt que le judéo-berbère, comme langue maternelle par ces communautés rurales. Mais dans le cas de cette hypothèse, on peut quand même poser la question suivante : les femmes juives rurales, en tant que maîtresses de l'espace domestique, prenaient-elles la route aussi souvent que leurs époux ?
Talashunt et le goy
En plus de leur emploi du judéo-arabe et du berbère, les juifs marocains utilisaient une langue plus ou moins secrète entre eux. D'après Monteil qui se base sur les travaux de Brunot, talashunt serait la forme berbère de lashuniya que les marocains musulmans de Rabat et de Fès ont formé à partir de l'expression hébraïque « lasôn-ha'odês » qui veut dire : la langue de ce qui est saint, c'est-à-dire l'hébreu. (Brunot 1940 : 12, cité par Monteil) Talashunt ne serait-elle donc qu'une langue hébraïque dans un sens péjoratif du terme. Vu du coté musulman, ce serait un «baragouin que les juifs emploient dans leurs prières ». Aussi est-il un parler particulier, dialectal et défectueux utilisé devant les non-juifs, toujours du point de vue des musulmans. Comme exemple de ce parler, qui d'après Monteil sert avant tout de dissimuler le sens devant les goys, celui-ci nous donne l'exemple suivant : imar-lo iàsi lprotem qui veut dire : « dis-lui de donner de l'argent ». (Monteil 1946 : 395).
Bien que certains maintiennent que c'est bel et bien une langue hébraïque, Simon Levy de la Fondation du Patrimoine Culturel Judéo-Marocain maintient que talashunt est une langue secrète forgée pour éviter d'être compris par les non-juifs. C'était d'ailleurs cette dernière opinion qui ressort de presque tous les témoignages de l'époque coloniale comme on peut le constater aussi bien chez Monteil que chez Chaumeil : Les juifs du Jebal Bani, écrit Monteil, «emploient, au besoin, pour n'être pas compris par les non-Juifs, une sorte d'(h)argot hébraïque, dont le lexique me paraît hébreu, et la syntaxe et les particules arabes. Ils appellent cet argot : tallashunt, c'est-à-dire : la langue, le langage. » (Monteil 1946 : 385 – 405.) « Assez curieux, écrit Jean Chaumeil de son coté, est cet argot (talashunt) que les juifs utilisent entre eux pour ne pas être compris des chleuhs ». D'après lui, «la grammaire, la syntaxe, les flexions et les particules de la tallashunt sont celles de l'arabe parlé marocain. Le vocabulaire est composé, soit de mots arabes déformés, soit de mots hébreux ». (Chaumeil 1953 : 232 –3)
II. Eléments d'intégration sociale dans le milieu rural
On peut considérer la connaissance de talashunt par certains musulmans qui vivaient avec les juifs comme un signe marquant leur degré d'insertion dans la communauté juive. Certains musulmans de Tizi n Wasif dans la vallée des Ammeln (Anti-Atlas), nous affirment certains témoins, comprennent un peu cette langue, à force de l'entendre souvent parler à côté d'eux. (Chaumeil 1953 : 232 –3). Un demi-siècle après le départ de la plupart des communautés juives de ce monde rural, on rencontre encore beaucoup de marocains musulmans qui se souviennent de certaines expressions de ce parler particulier. C'est le cas de quelques personnes rencontrées en 1999 à Tazart (7 km de Sidi Rhal).(4) Ailleurs, d'autres pouvaient nous réciter par cœur certaines expressions de prières juives en hébreux. Un autre indicateur de l'intégration de certains musulmans dans la communauté juive est sans doute leur familiarité avec les us et coutumes de leurs concitoyens non musulmans. C'est ainsi que dans beaucoup de villages les gens qui les côtoyaient de près nous décrivaient leurs mœurs les plus intimes comme ce vieux monsieur de Lbriza (Mellah d'Aghmat dans le Haut-Atlas) exposant sa connaissance détaillée de la toilette des femmes juives (mikveh) qu'il avait probablement tenue de sa propre épouse. Ailleurs, des femmes musulmanes âgées étaient capables de nous faire une performance de cette mikveh non sans une certaine «combinaison de légère moquerie et d'affection sincère». C'était à Ighil n'Ugho, prés de Taliouine.
Si la connaissance de talashunt et la familiarité des us et coutumes juives de la part de certains goys sont des indicateurs éloquents d'une certaine symbiose dans un sens, beaucoup plus nombreux sont les signes qui la marquent dans l'autre sens - à savoir l'insertion des juifs dans la vie socio-économique environnante. Un adage qu'on entend souvent dans le monde rural est que «le juif pour le marché est comme la levure pour la pâte ». En fait, on peut résumer en termes actuels les trois domaines où se manifestaient les rôles que jouait le juif dans la société marocaine par des termes actuels de «industrie, communication et banque » (utilisés par Ali Amahane lors d'une conversation). D'une façon générale, tout le domaine de l'artisanat et le travail des métaux, du cuire et même de la poterie étaient soumis au savoir-faire du juif villageois (cordonnier, argentiers, fabricant de bât et de selle, bijoutiers, et même forgerons). C'est bien le juif qui préparait et réparait le matériel nécessaire au paysan berbère et pour les travaux des champs et pour les besognes domestiques. En tant que commerçant, négociant et colporteurs, lui revient le rôle d'établir le contact permanent du village avec l'extérieur. Aussi circule-t-il plus aisément entre ville et campagne, montagne et plaine et à travers les tribus. Il devient ainsi l'intermédiaire indispensable et le trait d'union constant des éléments de ces différents espaces. Mais le juif dans le monde rural est aussi celui qui détient de l'argent liquide qu'il prête pour l'achat aussi bien des semences nécessaires pour le laboureur que pour l'acquisition du bétail pour l'éleveur. Dans ce sens, il était le banquier qui investissait son «cash» en attendant la moisson ou la vente de certaines têtes de son troupeau. (5)
Si dans la grande partie du pays les juifs détenaient ces secteurs, dans certains endroits, bien qu'ils soient rares, leurs activités dépassaient ces trois grands domaines et ne s'y contentaient pas de ces rôles classiques. Il y en avait effectivement qui étaient plus enracinés dans le tissu socio-culturel en ce qui concerne certains droits et activités réservés ailleurs à leurs concitoyens comme les jeux de polo (taqura) ou même le port d'armes – du moins chez soi, nous dit-on, à Tadula n'Ayt Twayya (à coté de Ouarzazate) et Agwim (67 km de Ouarzazate). Dans d'autres localités, leur participation à certaines institutions liées à la vie agro-pastorale est sans conteste. A Duggana (/Tuama actuelle), on nous raconte qu'ils contribuaient à leur tour au travail collectif au profit d'une seule famille ou personne (tiwizi), comme ils participaient à ce tour de rôle qui revient à chaque famille ou personne du village d'emmener les bêtes au pâturage (tawala) (à Amezmiz par exemple). A part ces deux institutions communautaires par excellence, Tiwizi et tawala, certains avaient même parfois travaillé la terre comme le démontre cette photographie du juif des Ouled Mansour (Moyen-Atlas) derrière sa charrue tirée par deux vaches prise en mars 1950 par Elias Harrus. (Harrus 1999 : 20). La terminologie dans certains endroits comme jnan lihud (jardins du juif) dans la vallée du Draa ou agwni n wuday (le col du juif) à Aguerd dans le Jabal Bani témoigne encore dans ce sens. A Demnat la famille de Gota possède encore certains jardins jusqu'à présent (1998). Bien plus, pour apprécier le degré de cet enracinement de certaines communautés dans le milieu rural, il suffit de lire ce témoignage de Goldenberg sur les Ayt Buwulli (40 km de piste de Demnat dans la Haut-Atlas oriental) durant les années 1950 :
« Simon Fhima a un petit champ et quelques noyers et figuiers devant sa maison. Ils lui ont été légués par son père. Mais il n'a aucun titre de propriété et il est en litige avec l'Arabe [sic] voisin qui s'en déclare également propriétaire. Simon a un mulet. Mais comme il a besoin de deux bêtes pour labourer, il emprunte le mulet d'un de ses amis arabes (sic) à qui il prêtera à son tour sa bête (…). Les hommes rentrent, la faucille sur l'épaule ; ils ont moissonné les orges dans les champs minuscules où les épis dorés, parsemés de coquelicots, ondulent sous la brise » (Goldenberg 1952 : 27 et 29).
Si cela concerne principalement le domaine socio-économique, il en est de même au niveau de la vie quotidienne et culturelle en général. Une des caractéristiques du judaïsme marocain hautement significative – en plus de la célébration de la fête de la Mimouna et l'existence de certains paysans locaux - consiste dans le culte des saints. (Samuel, 1980) Le simple fait que certains lieux saints bénéficient de visites cultuelles de la part des deux communautés est révélateur à plusieurs égards. Phénomène singulier où se cristallise le mieux cette symbiose judéo-musulmane. On trouve ça et là à travers le monde rural des saints (igurramn pour les berbères musulmans et siddiqim ou qedoshim pour les juifs) communs aux deux communautés comme (Rabbi Shalomon Ben Lhansh) dans la vallée d'Ourika (à 40 Km de Marrakech). Rabbi David U-Mushé à Agwim est connu chez les musulmans sous le nom de Shikh n Imerdane. La Hilula autour de ce saint est considérée comme étant la plus grande de tout l'Atlas berbère. Il paraît d'après Yosef Chetrit que certains saints comme Sidi Ben Aissa u-Slimane (près de Taliwin) sont tantôt appropriés par les uns comme saints juifs et tantôt par les autres comme saints musulmans selon les époques et le rapport de force entre les deux communautés.
II. Ambivalence dans les relations judéo-berbères
Grâce à leurs rôles économiques (artisans, maillon et investisseur), à cette proximité exiguë et à ces croyances partagées, les juifs étaient intégrés parmi les berbères musulmans au point qu'il s'est développé entre les deux communautés une interdépendance nécessaire à un certain équilibre au monde rural marocain. Mais qu'en est-il des relations humaines dans et en dehors de ces sphères vitales à la survie de cette société ? Faut-il aller jusqu'à dire avec Shlomo Elbaz invoquant azerf, le fameux droit coutumier berbère, que «la société berbère… semble avoir été l'une des rares à n'avoir pas connu l'antisémitisme » ? (Elbaz 1997). Difficile pour ne pas dire plus. Il faut admettre toutefois que les relations judéo-berbères se caractérisent avant tout par une certaine ambivalence (Chetrit 2002), «cette disposition mentale comprenant simultanément deux composantes contradictoires ». D'un coté, on constate cette interdépendance indispensable aux deux communautés, des coutumes très similaires concernant les célébrations saisonnières des saints (anmuggar - hillolot) et d'autre part, on affiche des deux cotés une méfiance réciproque qui laisse échapper des stéréotypes négatifs dont l'exemple de la mascarade de Achoura jouée par les musulmans en est le prototype. (Lakhsassi 1989) Les juifs et les berbères, avons-nous noté dans notre rapport de terrain (1997-2000), ont accumulé des généralisations culturelles qui combinent chacune envers l'autre «à la fois l'antipathie avec affection, la méfiance avec la confiance et l'ignorance avec une connaissance intime des pratiques culturelles des unes et des autres.» (Rapport final de l'enquête entreprise par Chetrit, Schroeter et Lakhsassi intitulée « Jews Among Berbers »)
Cette intégration aussi bien socio-économique que culturelle ne doit donc pas nous empêcher de voir une certaine méfiance réciproque qui reste le plus souvent collective plutôt qu'individuelle et qui se laisse voir dans des préjugés et quolibets. Ceux des berbères musulmans envers les Juifs ne manquent pas. A Tazart (7 Km de Sidi Rhal), on continue à croire que les Juifs se saoulent et font des choses illicites durant ce qu'on appelle ici comme ailleurs, pour Purim, « Lilat lghalât » (La nuit de l'erreur). Près de Tinghir, à Ayt Lebzim, les gens sont persuadés que les juifs laissent dans la tombe de leurs morts des aiguilles (pour s'entre-piquer ?). Dans un village du Haut-Atlas, à Lebriza (Aghmat), on maintient la croyance selon laquelle les juifs enterrent le cadavre de leurs morts accroupis et parfois même debout. Souvent des marocains bien intentionnés laisse échapper encore aujourd'hui l'expression « lihud hasha-k » (en dehors du respect que je vous dois).
De leurs cotés, les juifs ne manquaient pas à rendre la monnaie à leurs concitoyens musulmans. D'ailleurs l'utilisation du terme goy pour se référer au musulman est hautement significative. « Parlons argot, que ce musulman ne nous entende pas ! », se dit en talashunt : debbîr-na b-tallashunt, lâ-ishemmaà-na hâd-lgaûy ! Le terme goy signifie non-juif en général, mais comme le remarque Brunot, il se réfère ici au musulman et contient certainement une idée méprisant (Brunot 1940 : 111, cité par Monteil). D'autre part, pour ne prendre d'un seul exemple, lorsqu'en 1955 les villageois de Tashemshit ont demandé à Mimoun El-Maleh de leur fournir un dernier conseil de sagesse, il paraît que celui-ci leur a répondu par cet adage : (6)
- Ecarte le musulman et le chacal et laisse paître le troupeau
en toute tranquillité
Là où se manifeste le plus cette ambivalence est sans doute dans l'asays (lieu de danses et chants collectifs) durant les joutes oratoires entres les deux communautés. C'est durant ces séances de divertissement que les clichés qu'ont les uns sur les autres se laissent mieux voir. Ici le non-dit s'exprime ouvertement et face à face. Seuls les poètes, mieux que quiconque, savent leur donner cette forme qui les fait résister à l'usure du temps. Aussi certains poètes ont-ils cristallisés ces préjugés qu'on retrouve d'ailleurs sous forme de vers piquants dans les échanges poétiques durant les séances d'ahwash (danses et chants villageois). Souvent c'est le poète musulman qui lance le défi mais la rétorque du juif ne se laisse pas attendre. Dans l'échange suivant, le juif matelassier reste une image méprisante chez le musulman en général. On la voit surgir dans ce fragment de dialogue entre un musulman (agriculteur) et un juif (artisan) que nous rapporté Mimoun El-Maleh : (7)
Musulman
- Coiffé d'une calotte (d'humilié), Moise veut bien des jardins
Juif
- Nos aiguilles d'acier valent mieux que vos petits jardins
Dans cet autre échange à l'occasion de la victoire juive de 1948, chanté par Mimoun El Maleh, c'est plutôt l'image du juif peureux qui revient : (8)
Musulman
- Etre juif me sied mieux maintenant que je vois
- Le juif tirer la lame du fourreau pour s'emparer des âmes
Juif
- Que notre rencontre soit en plein désert en présence de Satan !
- Pour que tu puisses voir si le juif a encore sa calotte d'humilié
A travers toute l'aire de l'amazigh-tashelhit, aussi bien dans le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas que dans le sud-est autour de Ourzazate et la vallée du Draa, des témoins nous parlent de la participation des juifs à ces danses et chants villageois. Tout en étant un signe d'intégration et de participation à la vie socio-culturelle, la séance d'ahwash est aussi une occasion pour apaiser des litiges sociaux et un moment de règlement de comptes sous forme de jeu artistique. D'ailleurs, les conflits entre groupes sociaux où domine cette même notion d'ambivalence dans les relations quotidiennes sont souvent au centre de la joute oratoire qui souvent obéit à la même structure. Après quelques vers d'introduction, la dispute poétique typique entre antagonistes commence généralement par des insultes pour finir par une réconciliation qui ne fait qu'ajourner une joute ultérieure au prochain rendez-vous. Ainsi se déroulent celles qui se jouent entre hommes et femmes, noirs et les blancs, aèdes de tribus ennemies… Prenant des formes identiques et obéissant aux mêmes lois prosodiques que ces joutes entre les sexes, les groupes ethniques, raciaux ou tribaux, celles qui opposent les poètes juifs et musulmans ne sont pas plus différentes dans ce sens.
A Duggana par exemple, on nous raconte que durant une des ces séances une poétesse musulmane demande le pardon divin pour ce divertissement plutôt mixte entre les membres des deux communautés à quoi le poète juif rétorque que la femme musulmane peut être tranquille à ce sujet étant donné que Dieu a crée pour chaque communauté sa propre religion ! D'autre part, voici comment Moh u-Larbi Aqdim (décédé en 1999), un musulman de Tahala (Anti-Atlas) interviewé par Sarah Levine à Casablanca, décrivait certaines joutes oratoires entre les deux communautés. «C'était un ahwash non-stop durant tout un après-midi, ni les musulmans ni les juifs, dit-il, ne s'étaient arrêtés pour la prière, takwzin et tiwudci pour les uns et Minha ou Aravit (prière de l'après-midi et du soir) pour les autres ». (9)
Le juif
- Soyez témoins, ô vous ici présents !
que nous sommes tous égaux
- Seule la calotte nous distingue, et c'est bien peu
Le musulman
- Soyez témoins, ô vous ici présents !
qu'il parle plutôt de lui et des chiens
Aqdim raconte aussi qu'après les moissons, deux poètes, l'un juif et l'autre musulman étaient allés voir, chacun de son coté, un notable du village pour obtenir de lui de l'orge comme cadeau. Le musulman qui était arrivé le premier, faisait semblant de juste passer par-là et non pour chercher les faveurs du notable. (10)
Le juif
- Qui veut acquérir des biens doit prendre soin de sa charrue
- Et non se servir dans la récolte et moissons des autres
Quelques jours après, pour aller chez le forgeron du village, le poète musulman est passé par le mellah et voit le même poète juif réparer la toiture de sa maison alors qu'il pleuvait. Comme ce dernier était dans une position vulnérable, le musulman passe à l'attaque :
- Que Dieu maudisse toutes progénitures laissées par Satan
- Ainsi que tous les juifs. Qu'ils soient maudits ! Amen
Le musulman continuait son chemin et le juif ne le lâchait pas du regard en suivant le bord de sa terrasse pour lui répondre :
- Nous n'avons pas besoin ni de travailler la terre
ni de veiller pour irriguer les champs
- Dieu nous a procuré des moyens pour
une meilleure et longue vie
* * *
Revenons maintenant à notre première interrogation. Comment se fait-il que c'est le judéo-arabe – plutôt que le judéo-berbère – qui soit la langue maternelle des juifs berbères ou des berbères juifs et depuis quand ? Pourtant, comme on vient de le voir, ceux-ci partageaient toutes les facettes de la culture rurale avec leurs concitoyens musulmans – à l'exception de la religion orthodoxe - dans un milieu quasiment berbérophone. Risquons-nous une hypothèse à ce stade de nos connaissances. Dans ce sens, il faut dire tout d'abord que le terme berbère et son qualificatif local «chleuh » est péjorativement chargé. Son refoulement de la part des juifs ruraux est probablement dû «aux préjugés et quolibets qui frappaient et frappent encore les «chleuhs » même en Israël » (Elbaz 1997). D'autre part, la conscience déjà très forte d'une identité religieuse juive – renforcée par des préjugés assez marqués - dans un milieu fortement musulman (et sunnite à haute dose) peut en fait, pour se renforcer, développer des mécanismes autres que religieux. C'est par le savoir utilitaire et en particulier la familiarité avec les langues de prestige que des minorités essaient de redresser la balance déficitaire dans l'échiquier social. Si l'arabe était et reste encore la langue du pouvoir depuis au moins le temps des Almohades, les juifs se sont vite mis à en faire leur langue première. (*) Etant donné la place inférieure du juif dans la hiérarchie sociale tribale, l'utilisation de l'arabe aurait servi au juif dans ce cas, non seulement comme outil de communication secrète (sorte de Talashunt au premier degré), mais encore de se distinguer du reste de ses concitoyens ruraux et redresser ainsi son statut social parmi les berbérophones. Avec le Protectorat, ils seront d'ailleurs les premiers parmi les Marocains à être familier avec le français et parfois même l'anglais (Essaouira). Avec la première école de l'Alliance Israélite Universelle à Tétouan en 1862, la langue de Voltaire va progressivement être adoptée dans les villes comme langue première des classes sociales aisées sans toutefois oublier l'arabe qui va continuer à jouer son rôle – à l'instar du berbère dans le monde rural – dans la sphère publique. Qui y a-t-il d'improbable dans cette hypothèse si on sait que même un savant berbèrephone comme Mukhtar al-Soussi se vante de sa connaissance et maîtrise parfaite de l'arabe qu'il aimait parler chaque fois qu'il avait envie, dit-il texto « de s'élever au-dessus du niveau» de ses voisins berbérophones monolingues. (Soussi 1961 : 13)
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NOTES
(1) Depuis les années 1980, l'intérêt de l'état marocain et du secteur privé (banques, mécénat…) aussi bien pour le patrimoine berbère que pour le patrimoine juif s'inscrit dans une conception moderne du patrimoine (turâth). Ce «renversement spectaculaire » dans la définition du turath dont le noyau dur, sinon exclusive est constitué jusque-là par les livres anciens de l'arabe classique ne représentent plus qu'une infime partie du patrimoine mobilier. (Skunti, 2000 : 40 - 41). Cet effort a permis de faire sortir de l'ombre pour prendre en charge d'autres richesses de la culture nationale, jusqu'ici reléguées ou bien au folklore (patrimoine berbère marocain) ou refoulé dans l'inconscient (patrimoine juif marocain). La Fondation du Patrimoine Culture Judéo-Marocain et l'Institut Royal de la Culture Amazigh (Rabat) s'inscrivent dans ce processus général.
(2). Certains fragments de ces enregistrements en amazigh-tashelhit utilisés ici et en particulier ceux de Mimoum El-Maleh, font partie de ce corpus de Joseph Chetrit.
(3) Certains manuscrits en judéo-arabe sont actuellement exposés au Musée du Judaïsme Marocain à Casablanca (Fondation du Patrimoine Culturel Judéo-Marocain).
(4) Ici existaient jusqu'au début des années 1950, deux quartiers juifs importants : Lmellah n'ufella dit Mellah Lbacha et Lmellah n izddar, dit Mellah Si Hemmou.
(5) Quand on consulte l'index de l'ouvrage magistral de Jacques Berque sur les Structures sociales du Haut-Atlas, on est surpris de l'absence totale du terme juif ou judaïsme. Pas un mot ou une référence à cette communauté. Pourtant jusqu'à l'émigration des années 1950 et 60 du siècle dernier, il est difficile d'imaginer le fonctionnement socio-économique des Isksawn (Seksawa) sans le rôle des juifs qui étaient d'ailleurs insérés d'une façon organique dans le tissu tribal en général.
(6) Texte berbère : (hîyyd) uccn d umuselm, terzêmt i walli ardd aghun-t
En arabe de Mimoun : hîyyd ddib u lmselm, u têlq lghenm, iràaw u ijiw ma àendk mac txaf lhum
(7) Texte berbère
Amuselm
- Iqqn Muci ccicit, ar itdâlab tighliwin
Uday
- Ufn lccfiyya n lhend, ighula nnun
(8) Texte berbère
Amuselm
- Ur tziyn gigi, tudayt , aylligh nn ufigh
- Uday issf azenwi g lxla, a[r] ittawi rrûh
Uday
- Ad agh ijemà rbbi gh lxla, ihâdr ssitân
- Ad-tîzra-t uday-ad, is-sul iqqn ccicit
(9) Sarah Levine, « Making Fun of the Other, and Other Keys to Coexistence»,
unpublished paper
Texte berbère
Uday
- Cahdat a ma ghid ihâdêrn, is kullu nga yan
- Ccicit-ad ka nmyagal, hann rxan-t nit
Amuselm
- Cahdat a ma ghid ihâdêrn, izz nttan d idân (af isawl)
(10) Texte berbère
Uday
- Agullu-ns a ittuzan, yan iran lxir
- Ad ur ittjurju, gh tirac n wiyyâd
Amuselm
- Allah inàl mad agh kullu turu-t, a ccitân
- Ula ttayf n lihud, attn inàl rbbi, amin
Uday
- Ur agh nkkerz, ur agh nqqay aman
- Ituwwel angh ukan rbbi, gh lâwin ula layyam
( *) Pour D. Schroeter, c'est plutôt à partir de la fin du 14è siècle et jusqu'au 19è siècle que les juifs ruraux se sont arabisés. En fait, écrit-il, un certain esprit de clocher de ces juifs les avait poussés à associer leur culture marocaine rurale à la tradition (arabe) andalouse. Cette tendance est d'ailleurs commune à la communauté dominante musulmane et à la dynastie Saadienne et Alawite (par opposition à la dynastie berbère Mérinide). En outre, Schroeter se demande si ce processus (de passer du monolinguisme berbère à l'adoption du judéo-arabe comme langue maternelle) ne va pas de pair avec ce que l'auteur de Mellah of Marrakech, Emily Gottreich appelle la « Mellahisation ». (See Daniel J. Schroeter, "THE SHIFTING BOUNDARIES OF MOROCCAN JEWISH IDENTITIES" Standford, Shifting Identities 2)
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REFERENCES
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- Chaumeil, Jean 1953, « Le Mellah de Tahala au pays des Ammeln », Hespéris, 1er – 2è trimestres, 1953, pp. 227-240.
- Chetrit, Joseph, 2002, "Ambivalence et hybridation culturelle: interférences entre la culture musulmane et la culture juive au Maroc", Perspectives 9 (2002), pp. 102-124.
- Elbaz, Shlomo 1997, «Interférences culturelles judéo-berbères,» Version abrégée d'une communication faite à Trieste en septembre 1997, au cours d'un colloque sur le thème : « Ports et abords de la Méditerranée ».Voir le web.
- Galand-Pernet et Zafrani, Haïm 1970, Une version berbère de la Haggadah de Pesah : Texte de Tinghir du Todgha (Maroc), 2 vols. Paris : Guethner
- Goldberg, Harvey E., 1983, "The Mellahs of Southern Morocco: Report of a Survey," The Maghreb Review, 8, 3-4 (1983): 62-63.
- Goldenberg, A. 1952, «Expédition dans le Haut-Atlas marocain », Les Cahiers de l'AIU, n° 65, sept. 1952.
- Harrus, E. 1999, « Juifs parmi les berbères. » Photographies d'Ellias Harrus, Musée d'Art et d'histoire du judaïsme, Paris – Beth Hatefutsoth, Musée de la Diaspora, Tel Aviv, Elias Harrus, Casablanca 1999, pp. 5 et 20).
- Lakhsassi, A. 1989, «Réflexion sur la mascarade de Achoura», in Signe du Présent (Rabat), n° 6, pp. 31-39.
- Levine, Sarah and Schroeter, Daniel, 2000 : « Jews Among Berbers : Portraits from Morocco's Atlas and Sahara 1940 – 1960 » by Sarah Levine and Daniel Schroeter. Photographs by Elias Harrus with contributions by Elias Harrus, Lucette Valensi, Joseph Chetrit and Abderrahmane Lakhsassi)
- Monteil, le Capitaine, 1946, « Choses et gens du Bani », Hespéris XXXIII, 1946, pp. 385 – 405.
- Monteil, Vincent 1948, «Les Juifs d'Ifrane (Anti-Atlas marocain)», Hespéris, XXXV, 1948, pp. 151-160.
- Pascon, P. et Schroeter, D. 1982, «Le cimetière juif d'Iligh (1751- 1955) », Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, n° 34, 1982 – 2, pp. 39-58.
- Rosen, Lawrence 1984, Bargaining for Reality: The Construction of Social Relations in a Muslim Community. Princeton : Princeton University Press.
- Samuel, Youssef Benaim, (avocat), 1980, Le pèlerinage juif des lieux saints au Maroc, (imprimé par l'auteur lui-même), Casablanca.
- Schroeter, Daniel "On the origins and Identity of Indigenous North African Jews" (a chapter in a forthcoming book on minorities in the Maghreb)
- Skounti, Ahmed 2000, « Le miroir brisé : essai sur le patrimoine culturel marocain », in Prologues, n° 29-30, Casablanca, pp. 37-46.
- al-Soussi, Mukhtar, 1961, al-Maàsûl, Casablanca, Al-Najah, vol. 1.
- Stillman, Norman A. 1991, « Myth, Counter-Myth and Distortion. » Trikkun, 6, 3 : pp. 60-64.
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Résumé
Contrairement à la majorité des juifs urbains qui vivaient dans des quartiers qui leur ont été réservés (Mellah-s), les juifs berbères dans le monde rural marocain habitaient les mêmes rues que leurs concitoyens musulmans. De cette contiguïté résultait une connaissance mutuelle plus intense entre les deux communautés. Ils participaient à la vie villageoise non seulement dans ses dimensions socio-économiques mais aussi culturelles et artistiques. Dans certaines régions, des poètes juifs pouvaient tenir tête à leurs adversaires musulmans dans des joutes oratoires durant les séances d'ahwash (danses et chants communaux). Ainsi se réglaient d'une façon pacifique les litiges de la vie quotidienne des deux communautés. Aussi une certaine ambivalence dominait-elle les relations judéo-berbères dans ces régions – comme ailleurs. Pourtant la langue Tashelhit qui apparaissait dans certains fragments recueillis ne semble pas être la langue première de ces poètes.
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